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par Nicolas CUOCO de VAR MATIN
OU EN EST LA COOPERATION MILITAIRE FRANCO-BRITANNIQUE ?
Alors que le Roi Charles III devait être en visite en France, nous avons rencontré un général français… à la tête d’une division anglaise. L’occasion de faire le point sur cette relation bilatérale.
Par NICOLAS CUOCO
Pour commencer, qu’y-a-t-il de plus difficile pour un général français au sein d’une division anglaise hormis la nourriture ? (rires)
Au-delà du langage (et des accents régionaux !), le plus difficile pour moi est de comprendre les us et coutumes (non écrits), les codes militaires et donc la culture ! Ce n’est pas facile parce qu’il faut du temps, du travail et de la patience pour décoder toutes les subtilités culturelles d’un pays aussi riche et divers que le Royaume-Uni.
La récente victoire de l’équipe de France de rugby contre l’Angleterre ( ?) vous a peut-être permis de chambrer un petit peu vos homologues ? (rires)
J’ai eu le droit à de nombreuses félicitations de la part de mes homologues britanniques et c’est certainement plus facile de vivre au Royaume-Uni lorsque les équipes françaises de foot et de rugby brillent d’une telle manière. Je suis un amateur de rugby, on plaisante souvent sur les prestations de nos équipes respectives, mais les Anglais sont très fair-play
Pouvez-vous nous expliquer votre rôle d’adjoint au général de la 1st Division, l’une des trois divisions de l’armée de Terre britannique et qui comprend près de soldats ?
Je suis un officier inséré dans le cadre d’un échange, dont la décision politique a été prise lors de la signature des accords de Lancaster House en 2010. Une partie du traité a été mise en œuvre en 2016 avec un échange d’officiers. Je suis ainsi le troisième officier général français à servir comme adjoint à York. Après presque une année en tant que général adjoint, les circonstances ont fait que l’armée de Terre britannique (Army) m’a donné le commandement de la 1st Division pour trois mois, ce qui m’a notamment permis de commander les cérémonies à York dans le cadre des funérailles de la Reine Elizabeth II. Aujourd’hui, je participe au contrôle opérationnel des unités de la division et je conseille le commandant de la division dans toutes ses missions.
Le Roi Charles III devait venir en France pour une visite d’État qui a été reportée. Quel est son lien avec les armées ?
Le roi au Royaume-Uni est le commandant en chef des forces armées. Cependant, c’est bien le Premier ministre qui dirige le pays avec le parlement et qui décide des opérations militaires. Cette responsabilité du roi peut paraître symbolique, mais elle est bien plus importante qu’on ne le pense. Ainsi, le Premier ministre Rishi Sunak et le Roi Charles III ont des entretiens réguliers. De plus, la famille royale a une relation privilégiée avec toutes les armées. En effet, certains de ses membres ont une fonction protocolaire.
Où en est la coopération militaire franco-britannique après l’épisode des sous-marins australiens ?
On est pas mal, la coopération est stable ! Le traité signé entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (Aukus) est, avant tout, une affaire politique. La relation militaire est solide et ancienne ! Si les deux pays ont connu des guerres au cours de leur histoire, depuis l’Entente cordiale en 1904 et la Première Guerre mondiale il y a eu un alignement des relations militaires. Nous avons quasiment la même expérience opérationnelle et la même valeur du combat, ce qui fait que nos armées de Terre restent très proches et continuent de travailler ensemble, quelle que soit la situation politique. Nous sommes des frères d’armes.
Cela vaut pour la Marine nationale et la Royal Navy ?
Le contrat Aukus porte entre autres sur des sous-marins, la Marine est donc mieux placée que moi pour répondre à cette question.
“Aukus ? C’est une affaire politique. Sur le plan militaire, nous sommes des frères d’armes. ”
Comment l’armée française est-elle vue par ses homologues anglais ?
Comme une très belle armée, solide, combattante, bien équipée, bien entraînée et avec une forte expérience opérationnelle. Depuis plusieurs années, l’armée de Terre française est engagée dans un plan de modernisation, comme l’armée britannique, mais elle a lancé cette modernisation un peu plus tôt. Personnellement, je ne pense que l’armée de Terre française, par rapport à nos alliés d’outre-manche, est dans une situation plus favorable du fait en particulier des programmes d’équipements majeurs Scorpion puis Titan.
On sait que chaque année les interactions sont nombreuses avec les armées américaines mais qu’en est-il avec les Britanniques ?
C’est peut-être moins visible mais nous avons une vraie coopération. Entre les deux armées de Terre, certains régiments français et britanniques sont binômés, c’est ce que l’on appelle les Bonds of Friendship (liens d’amitié). Nous participons également à des exercices majeurs en commun qui contribuent à notre interopérabilité, c’est le cas en ce moment dans le sud de la France avec l’exercice ORION et la participation d’une unité britannique. Enfin, nous sommes déployés ensemble en opération, c’était le cas hier au Mali et c’est le cas aujourd’hui sur le flanc est de l’Europe, en Estonie, au sein de la mission de réassurance de l’Otan au profit des pays baltes.
Le budget des armées françaises va augmenter et atteindre 413 milliards d’euros sur la période 2024-2030. Qu’en est-il outre-manche ?
La guerre en Ukraine occasionne-t-elle aussi une hausse des crédits ?
Complètement. En 2021, soit un an avant la guerre en Ukraine, les Britanniques avaient déjà publié l’équivalent d’une revue stratégique (Integrated Review), qui lançait la transformation de la défense avec des crédits supplémentaires. Avec les enseignements tirés de la guerre en Ukraine, les Britanniques viennent tout juste de publier une actualisation de leur “Integrated Review” qui adapte la défense britannique et fixe les orientations stratégiques. Ainsi, le Premier ministre a annoncé pour les deux prochaines années, 5 milliards de livres sterling qui s’ajoutent aux 560 millions déjà engagés à l’automne 2022. Cela signifie que les dépenses de défense du Royaume-Uni devraient atteindre 2.2 % du PIB cette année.
Quel est l’apport de l’Angleterre dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie ?
Par choix politique du fait de leur histoire récente avec la Russie, l’ancien Premier ministre, Boris Johnson, avait décidé dès le début d’engager son pays de manière très visible et forte, pour appuyer les Ukrainiens. Cet effort est politique, diplomatique, militaire et financier avec près de 2.5 milliards de livres sterling en assistance humanitaire et militaire en 2022. De plus, d’ici la fin de l’année, près de 30.000 soldats ukrainiens auront été formés sur le sol anglais.